Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

La littérature russe

La littérature russe

 

          Il n’existe en Russie aucun document écrit avant le XIe siècle. Le codex de Novgorod, premier document littéraire est constitué de trois tablettes en bois de bouleau. Œuvre du diacre Grégoire pour son supérieur en 1056 -1057, il a été exhumé le 13 janvier 2000 à Novgorod.

Hormis des récits populaires, la Russie ne connaît aucun texte non religieux avant le XVIIe siècle où naissent la poésie et le théâtre. De plus, il n’existe pas d’université avant celle de Mikhaïl Lomonossov, créée au XVIIIe.

Surgie au XIXe, la littérature russe s’est vite imposée avec Tolstoï et Dostoïevski, puis elle a connu une brisure quand l’élan de l’âge d’argent porté par des auteurs comme Maïakovski ou Akhmatova s’est fracassé sur le mur de la censure soviétique, avant de renaître dans la clandestinité sous la prose agréée par le régime et de s’illustrer de nos jours avec de nouveaux auteurs.

 

L’âge d’or, source féconde du roman russe

          Jusqu’au début du XIXe siècle, la littérature russe est didactique, essentiellement transmise par un clergé soucieux de fournir à ses ouailles de pieux modèles de vie chrétienne. Elle est rédigée en slave, langue d’église. De son côté, l’aristocratie trouvait ridicule l’idée d’une

littérature russophone car, pour elle-même, elle privilégiait le français.

          C’est le poète et romancier Alexandre Pouchkine (1799-1830) qui impose avec panache une littérature russophone dans les années 1820, puis Tolstoï qui, en 1869, lui fera atteindre des sommets avec Guerre et Paix. Se manifestent également  Nicolas Gogol (1809-1852), Dostoïevski (1821-1881) avec Les frères Karamazov en 1880.

Pouchkine n’est pas qu’un précurseur. Il a  contribué à hisser le roman russe au plus haut niveau et avec ses successeurs, de Tourgueniev à Tchekhov et à Maxime Gorki, il a fait en sorte que la littérature russe devance ce qu’elle imitait.

 

L’âge d’argent est le dernier élan avant la révolution manquée de 1905.

          Commencé en 1890, il se termine entre la révolution de 1917 et les premiers temps de la NEP (Nouvelle Politique Economique lancée par Lénine à partir de 1921, qui introduit une relative libération économique pour redynamiser le pays affaibli par la Première Guerre mondiale, une révolution, une guerre civile). Écriture, littérature, théâtre, arts de toutes sortes fleurissent et beaucoup de créateurs ont un rayonnement international comme Chagall, Tchekhov, Fabergé, Kandinski, Maïakovski, Pasternak, Stravinski, Alexandre Blok (1880-1921), le plus grand poète symboliste de la période.

 

Les années de fer

          Poètes et romanciers de l’âge d’argent ont souvent accompagné la révolution avant d’en être les victimes.

  • Quatre sont emblématiques de la période car, par leur œuvre et leur destin, ils ont marqué à jamais la littérature mondiale. Ce sont :

Marina Tsvetaeva, poète que l’on retrouva pendue le 31 août 1941 après une vie marquée par 25 ans d’exil, des tragédies et la misère ;

Isaac Babel, nouvelliste, qui fut exécuté d’une balle dans la nuque (1840) ;

Anna Akhmatova, poète, persécutée puis réhabilitée par les Soviétiques. Parmi les poètes de sa génération, elle fut la seule à avoir survécu aux années de fer.

Mikhaïl Boulgakov, rongé par la maladie, qui vit toutes ses pièces retirées de l’affiche puis du répertoire. Staline lui attribua une place subalterne lui permettant de survivre et de travailler à son chef- d’œuvre Le Maître et Marguerite, plusieurs fois réécrit entre 1928 et 1940, sans espoir de le voir édité.

 

  • D’autres sont à citer comme Pasternak (auteur du Docteur Jivago), Maïakovski, Zamiatine, mort en exil, Mandelstan décédé dans un camp également.

 

Place de l’écrivain officiel

Il connaît grandeur et décadence ; C’est le cas de :

Mickaïl Cholokhov. Il a écrit Le Don paisible, tableau de la vie des Cosaques, grande fresque épique comparable à Guerre et Paix, couronnée en 1941 par le prix Staline qui fit de lui le modèle de l’écrivain socialiste. À sa mort, en 1984, on l’accusa de ne pas être l’auteur de ce livre sous prétexte que le réalisme socialiste ne pouvait pas produire un chef-d’œuvre.

Vassili Grossman obtient d’abord les faveurs de l’Union soviétique, puis il est dénoncé comme ennemi du peuple dans la Pravda ; Son œuvre capitale, Vie et Destin, achevée en 1960, est un acte d’accusation virulent contre la terreur bolchevique et le génocide de peuples entiers.  L’auteur y établit  un parallèle entre nazisme et stalinisme. Banni et misérable, il mourut en 1964 sans savoir que grâce au physicien Andréi Sakharov son manuscrit fut sauvé.

 

Les peintres du Goulag

De nombreux écrivains ont connu l’horreur du monde concentrationnaire soviétique. Certains ont survécu et leurs œuvres témoignent.

Soljenitsyne, né en 1918, est interné durant 8 ans dans des camps de concentration pour avoir critiqué Staline dans une lettre à un ami. Libéré en 1953, il est assigné à résidence dans un village du Kazakhstan, en Asie centrale, où il enseigne les mathématiques et la physique pour gagner sa vie ; En 1962, un tabou semble brisé puisque, avec la permission de Khrouchtchev, paraît en 1962 dans une revue Une journée d’Ivan Denissovitch qui décrit le monde concentrationnaire. Mais en 1964, avec la chute de Khrouchtchev, s’opère un virage total rétablissant censure et clandestinité. Le Premier cercle et Le Pavillon des cancéreux sont d’abord diffusés en polycopies, ensuite publiés en Occident et rapidement traduits en de nombreuses langues. Soljenitsyne, alors mondialement connu, obtient le prix de littérature en 1970.

Chalamov, successivement poursuivi par le malheur, produit des œuvres d’orfèvre. En 1929, âgé de 22 ans, il est condamné à 3 ans de travaux forcés dans l’Oural pour diffusion d’un document dans lequel Lénine critique le choix de Staline comme successeur. En 1937, à nouveau arrêté, il est envoyé en Sibérie, dans la Kolyma où les bagnards meurent d’épuisement et de faim dans les mines d’or par des températures de - 40°. Libéré en 1951, il y est assigné à résidence jusqu’à sa réhabilitation en 1956. Ses premiers livres paraissent à l’étranger. Malade, aveugle et sourd, il meurt en 1982 dans un hôpital psychiatrique. Ses Récits de la Kolyma, rédigés à partir de 1954, sont un témoignage irremplaçable sur les camps staliniens.

C’est seulement en 1974 que l’intérêt public pour les bagnes soviétiques devient mondial avec L’Archipel du Goulag de Solietnisyne.

Les plumes contemporaines

Un peu plus de trente ans  se sont écoulés depuis la chute de l’URSS, le 25 décembre

  1. Certaines œuvres sont incontournables comme celles de :
  • Svetlana Alexievitch qui donne des témoignages récompensés par le prix Nobel 2015. Citons La Guerre n’a pas un visage de femme (1985) consacré aux femmes de l’Armée Rouge qui ont combattu les nazis et ont été traitées de "femmes à soldats" une fois revenues à la vie civile ; La Supplication, chronique du monde après l’apocalypse de Tchernobyl (1993) ;
  • Ludmila Oulitskaïa: Sonietchka (1992) est son premier roman avec en toile de fond la Russie entre les années 1920 et la fin de la pérestroïka. Il est question de misère, de collectivisme forcé, d’amours et de trahisons ;
  • Dmitry Glukhovsky avec Métro 2033 en 2005, puis Métro 2034, Métro 2035. Ces œuvres ont été traduites en vingt langues dont le français et ont inspiré un jeu vidéo.
  • Andréi Makine avec qui nous avions pu nous entretenir à la librairie montalbanaise « Le Scribe » il y a quelques années. Né en 1957, francophone grâce à sa grand-mère, il est naturalisé français en 1996, l’année après avoir obtenu le Goncourt, le Goncourt des lycéens et le Médicis avec Le Testament français. Il est élu en 2016 à l’Académie française et vient de publier L’Ancien calendrier d’un amour aux éditions Grasset.

De toute façon, la littérature russe n’est pas morte. En témoignent sept ouvrages contemporains qu’il ne faut pas laisser passer comme :

  • Le cas du docteur Koukotski (2001) de Ludmila Oulitskaïa ;
  • Le Péché du Zakhar Prilepine (2007) ;
  • Journée d’un Opritchnik (2006) de Vladimir Sorokine ;
  • Le cheveu de Vénus (2005) de Mickhaïl Chickhine ;
  • Laurus (2012) d’Evgueni Vedolazkine ;
  • Zouleïkha ouvre les yeux (2015) de Gouzel Iaklina.

 

Conclusion

          On peut ne pas être d’accord avec Vladimir Poutine et ses idées hégémoniques mais se plaire à relire la littérature russe qui a connu tellement de vicissitudes. Profitons de la narration joyeuse de Pouchkine, de la démesure de Tolstoï,  des tourments des personnages dostoïeskiens, de la fantaisie de Gogol ou de Boulgakov dans Le Maître et Marguerite.  Ces auteurs n’ont pas d’équivalents chez nous. Se priver de les lire pour des raisons extra-littéraires reviendrait à nous sanctionner nous-mêmes. Ne boudons pas non plus les auteurs contemporains qui sont souvent de qualité.

Remarque : L’ironie de l’Histoire finit toujours par  nous rattraper. Ainsi il est troublant de se dire que l’un des ouvrages les plus remarqués de l’année s’intitule Guerre et qu’il est une redécouverte de Louis-Ferdinand Céline. Ce titre vient en écho à l’actualité et au conflit entre l’Ukraine et la Russie. Le succès du Mage du Kremlin  de Giuliano da Empoli (ancien conseiller du président italien Matteo Renzi, éditorialiste et essayiste, professeur à Sciences-Po Paris) tout juste auréolé du Grand prix du roman de l’Académie française rappelle la capacité de la littérature à nous faire comprendre ces événements.

Andrée Chabrol-Vacquier