Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

Ecriture miroir de l'âme

REMARQUE (en écho au précédent Trait d’Union concernant la littérature russe) :

         Après le succès du Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, penchez-vous, à un an d’intervalle sur l’ouvrage Tsunami (Albin Michel, 2023) de Marc Dugain qui se met dans la peau du prochain président de la République en employant le pronom personnel « je ».Les deux auteurs se sont rencontrés l’espace d’une matinée et ont convenu que la fiction, mieux que l’essai, disait la réalité du monde d’aujourd’hui et des arcanes du pouvoir.

Et si vous voulez remonter un peu dans le temps, lisez La fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch paru en 2013 (prix Médicis) et vous verrez ce qu’il reste l’Homo Soviéticus après 70 ans de marxisme léninisme et des millions de morts. Tout cela nous concerne chaque jour davantage, a été, devient et deviendra réalité. Le passé construit un futur de plus en plus inquiétant.

L’écriture est le miroir de l’âme

           Quand on parle d’écriture ce n’est pas d’écriture manuscrite mais d’écriture au sens large englobant style, ton, vocabulaire, et dressant le portrait intérieur de l’écrivain. L’abbé Jean-Hippolyte MICHON, ordonné prêtre à Angoulême en 1830, l’avait bien compris puisqu’il créa en 1871, avec Émilie de Vars, la société parisienne de graphologie, ancêtre de l’actuelle Société Française de Graphologie (SFDG). Il n’était pas un critique littéraire, mais il pensait que notre être se dévoile dans les inflexions que nous imposons à nos lettres quand nous les traçons à la pointe d’un stylo, dans la façon dont nous les lions, les espaçons, les orientons. Ainsi la graphologie permet de comprendre la personnalité d’un écrivain, l’évolution de son travail, la paternité d’un ouvrage, et bien d’autres notions.

Quelle est donc la petite histoire de cette science ?

           Souvent décriée, souvent encensée, elle a connu des hauts et des bas depuis son invention au XIXe siècle. Sa plus ancienne trace remonterait à CONFUCIUS (551-479 av. J.-C.)  qui disait : « Ne faites pas confiance à un homme dont l’écriture oscille comme un roseau sous le vent. »

 Toutefois les spécialistes se sont plus tard accordés à voir en Camille BALDI (1550-1637), médecin et philosophe de Bologne, celui qui a ouvert la voie avec son traité : Comment par une lettre missive se connaissent la nature et la qualité du scripteur . D’après l’abbé MICHON qui a créé le mot en 1872, l’ancêtre de la graphologie serait plutôt le Zurichois Yohann Kaspar LAVATER (1741-1801), théologien et savant qui inspira l’abbé belge HOCQUART pour son Art de juger un caractère des hommes  par leur écriture (1812).

Suivirent les travaux du philosophe allemand Ludwig KLAGES (1872-1956) qui travaillait sur la bipolarité. En France, n’oublions pas de citer Jules CRÉPIEUX-JANIN (1859-1940) qui publia plusieurs traités  et remit en cause certains principes de l’abbé MICHON. Avec lui la graphologie n’est peut être pas devenu une discipline scientifique mais elle a acquis un cadre théorique, structuré. Depuis elle s’est diversifiée dans ses méthodes avec le développement  des interprétations et du symbolisme des signes et dans ses pratiques, notamment pour le recrutement des entreprises

 Que regarde un graphologue ?

           Il observe tout, analyse, ne laisse rien au hasard, en s’appuyant sur plusieurs critères :

  1. La dimension de l’écriture exprime l’extraversion, l’intraversion, voire la timidité.
  2. La direction de l’écriture : les mouvements vers la droite caractérisent l’avancée vers l’avenir, ceux vers la gauche la relation avec le passé, la mère, le besoin de sécurité.
  3. L’utilisation de la page : le rapport entre l’écrit et l’espace laissé en blanc renseigne sur la relation aux autres, la distance entre les lignes sur le besoin d’indépendance.
  4. La qualité du trait : la pression sur la page renseigne sur l’énergie, l’affirmation de soi.
  5. La forme des lettres : elle fait ressortir une prédominance affective (si elle est ronde) ou intellectuelle. Parfois de petites pointes révèlent agressivité ou sens critique.
  6. La liaison entre les lettres montre la continuité dans la pensée et l’action.
  7. Le rythme de l’écriture traduit calme ou vivacité, nonchalance, rapidité, exaltation.
  8. Les ponctuations : accents, points sur les i , virgules, renseignent sur le mental, l’impatience, le stress, les inhibitions.
  9. La signature : élément fondamental exprimant autant l’image de soi que l’investissement social.

Étudions maintenant l’écriture de grandes plumes

           1°) BAUDELAIRE : ses manuscrits de « L’Albatros » disent beaucoup et révèlent :

a) ses souffrances et faiblesses: le graphisme varie dans la forme, la taille des lettres, les espacements qui révèlent une personnalité changeante, instable, impulsive

La marge de droite qui représente le futur est envahie par des grands gestes en forme de crochets captateurs.. Avidité, ardeur, espérance sont démesurées mais contrariées par la mollesse de certaines courbes et par des barres de « t » immenses. La ligne est irrégulière comme la vie du poète souvent bohême.

  1. La vision de l’homme qu’il deviendra

< Le trait est épais, traduit une forte sensualité.

< les relâchements tout au long du texte montrent un fond de lymphatisme. D’ailleurs cette lettre a été écrite quand l’auteur, à 27 ans, souffrait peut-être de la syphilis.

< Les accents parfois en forme cloche (même) font penser à de l’accablement.

< Les mots chutent souvent sous la ligne pour revenir au bon niveau

   (ligne 3 « une »  « heure » « où » )  signe d’une grande souffrance.

< On sent un élan vers la droite qui oriente vers le futur où Baudelaire deviendra   célèbre, ne serait-ce que pour avoir traduit Edgar POE.

2°) Arthur RIMBAUD :

L’écriture est fine, légère, vive, signe d’une sensibilité épidermique. On sent :

<  de la douceur avec des courbes sur la ligne.

< un sens critique aiguisé avec des tracés pointus, des prolongements agressifs à la fin     des mots.

< Le côtoiement de la subtilité et de la violence sur un mode fantasque.

< Une recherche de la lucidité par l’espacement entre les lignes, mais des paradoxes à l’image d’une  personnalité qui se cherche, peut être reconnue mais rongée par le tourment (voir les barres des « t »).

< Le déchaînement de la signature, avec un tracé ferme et noirci sous le nom qui dénote une sexualité tourmentée.

3°) LAMARTINE :

Son écriture évolue au fil des grands évènements de sa vie, où il a été poète, écrivain, orateur, homme politique.

À l’âge de 33 ans, elle progresse régulièrement vers la droite, signe d’un tempérament actif, déterminé, dans la poursuite d’un objectif. Le graphisme est équilibré, malgré des noircissements indiquant des états d’âme.

Vers 42 ans, on remarque des distorsions, des majuscules amplifiées. C’est le moment où il est élu député et mène de pair la création poétique.

À 58 ans il fait partie du gouvernement provisoire en qualité de Ministre des Affaires étrangères. Le graphisme a perdu son équilibre, sa pondération. L’exagération est à son comble, avec des discordances, des gonflements excessifs de crochets. L’enthousiasme et la subjectivité l’emportent sur la personnalité. Certaines lettres, très ouvertes sur le haut, sont révélatrices  d’idéalisme, mais aussi d’orgueil. 

À 60 ans l’écriture de Lamartine s’est totalement modifiée. Déchu du pouvoir, abandonné, l’homme est dénigré par les politiciens, critiqué par les écrivains contemporains, comme Flaubert qui l’insulte, Stendhal qui le trouve puéril. Après une vie fastueuse il est criblé de dettes.

Son écriture perd alors sa douceur, sa souplesse et devient agressive, anguleuse. Les débuts des lignes commencent par tomber, puis se redressent fortement, ce qui montre que Lamartine est abattu mais redouble d’ardeur pour faire face à l’échec. L’amertume se voit, le politicien poète est meurtri, déprimé, mais lutte avec détermination.

La signature complète souvent l’écriture et a besoin d’être décryptée, car elle cache toujours quelque chose. À la fois marque de notre moi profond et acte social, elle nous représente autant qu’elle nous trahit.

Essayons d’analyser  la signature de trois immenses écrivains.

1°) BARBEY d’AUREVILLY :

On remarque :

          < la clarté relative du nom ,

< la noirceur du paraphe,

< l’existence de deux univers : le haut et le bas ; la lumière et le monde souterrain,

< le contraste entre la finesse du nom et la violence du mouvement sous la ligne : deux boucles traçant un « huit » font le lien entre ces deux extrêmes. Un autre « huit » se niche dans le « A » qui symbolise l’amour de la vie et se dresse vers le haut, marquant une quête vers l’idéal ou le divin. Le « huit » est un tracé dans lequel on tourne en rond.  Pour celui qui fut surnommé « le romancier satanique »  il existe autant d’angoisse  dans la quête du divin que dans l’expérience de la sexualité.

Écrivain sulfureux, BARBEY d’AUREVILLY a fait scandale avec Un prêtre marié ainsi qu’avec Les Diaboliques.

2°) Jean GIONO :

          Contrairement au prénom le patronyme est souligné pour mettre en relief la célébrité, ce qui indique une séparation entre le passé lié à l’enfance et la vie sociale. Le prénom est plus gros que le nom pour donner de l’importance à la vie personnelle. Le trait épais révèle une grande sensualité ; l’équilibre entre la rondeur et les formes pointues montre une forte demande affective, de la générosité assortie d’une certaine autorité.

3°) Ernest HEMINGWAY :

          La signature descendante est signe d’un profond découragement, d’un certain terrain dépressif. La noirceur et les incertitudes du trait signalent de la fébrilité, de la nervosité, de l’angoisse. Le nom est écrit puis transpercé par un trait, ce qui révèle un tempérament destructeur. Hemingway s’est d’ailleurs suicidé.

CONCLUSION :

          Le style, le ton, le vocabulaire de l’écriture de chacun d’entre nous dressent notre portrait intérieur, ce qui explique le succès croissant de la graphologie et son utilisation dans les entretiens d’embauche.

Impossible de nous cacher. Nous sommes ce que nous sommes et il est passionnant de se pencher sur le sujet pour mieux nous connaître et définir notre parcours idéal. L’écriture est bien le miroir de l’âme.

Andrée CHABROL-VACQUIER