Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

LES LIEUX D'INSPIRATION

 


Les lieux d’inspiration

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          Les lieux d’inspiration des écrivains nous fascinent. Ils ont tous la même fin, le même but : permettre de couver une œuvre qui prendra un jour son envol. Toutefois ils présentent des formes différentes selon les personnalités

 

          1°) Certains sont liés à la nature, à la marche, au mouvement, d’autres à la position statique, le plus souvent assise. Flaubert écrivait «  On ne peut penser et écrire qu’assis.», ce qui conduisait Nietzsche à le traiter de « cul de plomb ». Sylvain Tesson, le bourlingueur, trouve l’inspiration au cours de ses voyages, notamment à pied, de même que Rousseau écrivait « Seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose. »

 

          2°) D’autres ont une telle capacité à s’abstraire du monde alentour qu’il leur est possible de composer dans n’importe quel contexte. C’est le cas de Jean-Claude Carrière, disparu en février 2021, qui pouvait travailler sur le quai d’une gare, ou dans la salle d’embarquement d’un aéroport, le cas également de Bernard Werber, l’auteur des Fourmis, qui s’accommode .d’une chambre d’hôtes impersonnelle pour ses heures d’écriture quotidiennes.

 

          3°) D’autres encore, et des plus célèbres, se confinent dans de plus ou moins vastes domaines. C’est le cas de :

-         Tolstoï dans sa maison natale campagnarde Iasnaïa Poliana, refuge de toute sa vie. Il avait installé son cabinet de travail au rez-de-chaussée, dans une petite salle voutée. Vêtu d’une bure de paysan, il était assis devant une table chargée de papiers, entouré de murs, où étaient accrochées une faux et une scie. Dans ce lieu sont nés Guerre et paix et Anna Karenine.

-         Flaubert passa une grande partie de sa vie à Croisset, dans son bureau surplombant la Seine. Il était capable de s’y échiner 16 heures d’affilée, et ne s’en échappait qu’occasionnellement pour de grands voyages en Orient, Italie, Grèce, Afrique du Nord, et pour quelques semaines passées chaque année à Paris.

-         George Sand composa l’essentiel de ses romans au cœur du Berry, dans son château de l’Indre : Nohant.

-         Colette vivait à Saint-Sauveur-en Puysaye (Bourgogne)

-         Et aussi Chateaubriand à Châtenay-Malabry (Ile-de-France), Alexandre Dumas au château de Monte-Cristo (Ile-de-France), Jacques Prévert à La Hague (Normandie), Virginia Wolf à Monk’s house (Sussex, Angleterre) , Pouchkine à Saint Petersbourg, Faulkner à Rowan Oak, Mississipi, les sœurs Brontë à Parsonage (Yorshire, Angleterre), Edith Wharton, première femme à obtenir le Prix Pulitzer, à « The Mount » dans le Massachussetts.

 

4°) D’autres tiennent à séparer la vie personnelle du temps d’écriture : ainsi à Paris Maylis de Kérangal, auteur de Réparer les vivants  a reconverti une chambre de bonne en atelier d’écrivain et s’y rend de 9h à 18h avant de regagner son domicile et de retrouver sa vie de famille ; Maryse Condé, auteur de Ségou, a décidé d’envoyer ses 4 enfants pendant 5 ans chez leur père pour reprendre ses études de lettres.

5°) Certains ont des rituels comme Philippe Jaenada, prix Fémina 2017, qui intègre dans ses journées d’écriture, deux passages quotidiens (17h-18h puis 20h- 21h) dans son bar préféré le Bistrot Lafayette du 10ème arrondissement de Paris, afin de se changer les idées, d’y puiser des sujets d’inspiration. Son tout dernier roman Le printemps des monstres est un pavé de 750 pages.

 

Les écrivains ne possèdent pas tous un domaine ou une maison.

          1°) Juvénal, poète romain, qui évoqua les mœurs de ses contemporains, entre le Ier et le IIe,siècle, écrivait dans la rue car il aimait qu’au moment de composer, ses vers portent la crasse et les odeurs de Rome.

          2°) Le moine Turold, auteur supposé de la Chanson de Roland, travailla certainement dans le scriptorium humide d’une abbaye normande à la fin du XIe siècle.

          3°) Certains ont conçu leur bureau comme un cabinet de curiosités, à la fois source d’inspiration et matérialisation des questions qui les préoccupent :

-         Maxime Chattam, né en 1976, auteur de romans policiers, travaille dans le grand bureau-bibliothèque de Chantilly (Oise) où voisinent lampes en fer, loup-garou empaillé, momie égyptienne, morceau d’épave du Titanic, œuvres d’Edgar Poe, de Tolkien, minéraux et crânes d’animaux. Il nous appartient de chercher des significations dans ces assemblables hétéroclites de l’auteur qui veut percer le mystère de la création.

-         Ray Bradbury (1920- 2012) auteur de fantastique et de science fiction, s’installe dans un bureau immense et confortable qui occupe le sous-sol de sa maison de Los Angeles. Il travaille dans le désordre car il garde tout..

-         André Breton(1896-1966) a composé la plupart de ses poèmes et essais sur un bureau adossé à un cabinet de curiosités composé d’un assemblage hétéroclite (os de baleine gravé, masque iroquois etc.) Ce mur formerait un tout. Il serait d’abord un autoportrait retraçant les voyages accomplis par l’écrivain, notamment en Amérique, puis l’histoire du surréalisme dont il a été le chef de file.

Le bureau

Ce meuble sur lequel travaillent nombre d’écrivains a souvent une portée symbolique. Alors que ses finances étaient au plus bas, Stephen King, le maître de la littérature d’épouvante, a écrit plusieurs romans dans sa voiture, ou dans le compartiment lingerie de la caravane où il vivait avec sa femme et ses deux enfants. Plus tard, dans son essai Écritures, mémoires d’un métier, il raconte que, devenu riche, il s’est acheté un énorme bureau, un « monstre de chêne » qu’il a installé au beau milieu de sa pièce de travail. Et là, durant dix ans, en solitaire, il s’est laissé aller à ses penchants autodestructeurs : cocaïne, alcool, tranquillisants. Il déclare ne plus se souvenir du tout de l’écriture de certains textes produits durant cette période.

Sous la pression de sa famille, il s’est enfin désintoxiqué, a jeté le grand bureau, et l’a remplacé par un autre plus modeste, placé non plus au milieu de la pièce mais dans un coin, geste symbolique bien sûr. Stephen King s’était rendu compte qu’en achetant ce bureau de mégalo et en le disposant au centre, il postulait que l’écriture prime sur l’existence, famille comprise. En le remplaçant par un meuble plus petit, placé dans un coin il affirmait le contraire.

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          Je ne suis qu’une "écrivaillonne", mais j’ai également des lieux d’inspiration et un attachement viscéral à mon bureau. Dès mon adolescence, chez mes grands parents au cœur des Cévennes bleues, je pris plaisir à lire, écrire sous un énorme tilleul du pré. J’ignorais à ce moment-là toute la symbolique de cet arbre de paix que l’Allemagne érige en allées pour conjurer le malheur, dont Bratislava sculpte la fleur.

Plus tard, en Tarn-et-Garonne, mes séances de travail commençaient par de longues étreintes avec l’immense tronc du magnifique sophora du jardin. Ensuite je pouvais rejoindre mon énorme bureau et faire corps avec lui. Il m’était parvenu par hasard (le hasard existe-t-il ?), donné par un prêtre qui le tenait d’un oncle huissier, et l’adoption fut immédiate. Il m’arrivait de caresser ses rondeurs de chêne patiné, de m’imprégner de son parfum d’essences diverses, de rêver devant ses tiroirs longs et profonds qui emmagasinaient mes secrets, mes écrits, mes projets, après en avoir caché bien d’autres.

Quel déchirement quand je dus m’en séparer ! Il était bien trop rond, développé, vivant pour trouver place dans mon nouveau domicile. Je ne l’ai pas vendu car trop désuet, trop chargé d’histoire, hors de prix, invendable donc. Le cœur dévasté je l’ai regardé partir dans un camion au milieu de nombreux autres meubles. Au-dessus de la pile de souvenirs je ne voyais que lui qui semblait me lancer des regards furieux mais résignés. Il appartenait désormais à un ancien agriculteur qui venait de vendre son exploitation et meublait une maison nouvellement achetée. Pourquoi pas ? Je me fis à cette idée jusqu’au lendemain où l’acheteur me demanda si la jeune femme de ménage vue chez moi était libre. Bien entendu elle ne voulut pas faire partie du lot. Depuis je conserve le regret d’avoir livré mon cher bureau à quelqu’un qui ne le méritait pas. Je l’ai remplacé par un meuble plus petit, traditionnel, trop rectiligne, trop parfait, trop commun. J’y travaille en pensant à son prédécesseur qui, à travers lui, continue à m’inspirer.

          Les lieux d’inspiration des écrivains nous fascinent. Les visiter est toujours un enrichissement, d’où la nécessité de les sauvegarder. Ils n’élucident pas le miracle de l’écriture mais ils le rendent palpable en montrant les conditions de son avènement. C’est là, se dit-on, que Madame Bovary est née dans le cerveau de Flaubert, là dans un modeste cabinet, son antre, que Tolstoï a décrit un monde en guerre. Et notre imagination galope. Nous voyons Hugo écrire debout, face à la mer, Colette au milieu de ses chats, Breton chef de file du surréalisme assis à son bureau adossé à un mur où figurent 255 objets et œuvres d’art, Sylvain Tesson courir les chemins en pensant à son prochain ouvrage, etc.

Écrire est un besoin qui se satisfait différemment .Précoce ou pas, il s’exprime le moment venu, quelles que soient les conditions. Heureux ceux qui ont trouvé des lieux d’inspiration. En réalité, ils étaient en eux et se sont révélés peu à peu pour notre bonheur, pas toujours pour le leur.

Andrée CHABROL-VACQUIER

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