Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

LA FORCE DE VIVRE

La force de vivre

Dans le sein maternel se développe le fœtus. Il commence à vivre et cette vie s’engagera vraiment dès la naissance. Dès lors, par instinct vital débute un combat et se manifestent des comportements inconscients. L’essentiel est d’aller de l’avant, d’avoir la force de vivre, de ne pas s’abandonner au désespoir dans les cas difficiles, pour préparer le futur. Pour cela, il faudra savoir faire son deuil, souvent engager une lutte héroïque, accepter les souffrances comme une fatalité, chercher l’apaisement dans l’amitié et l’amour, l’art, la littérature, les loisirs. Certains se réfugieront dans la croyance, la religion, iront jusqu’à se représenter la mort comme une ouverture sur l’éternité. D’autres choisiront de parler ou au contraire de se taire.

Les écrivains, les philosophes ont développé, montré tout cela à travers leur expérience comme Victor Hugo dans Les Contemplations, Nietzche dans Le gai savoir, Svetlana Alexievitch dans La supplication.

Suivons d’abord Victor Hugo. Il a perdu en même temps sa fille Léopoldine et son gendre Charles de la Vacquerie qui se sont noyés au cours d’une promenade en bateau sur la Seine. Son énergie vitale a reçu un coup d’arrêt et sa force de vivre s’exprime sous le mode de l’injonction : « Ētres ! Choses ! Vivez sans peur, sans deuil, sans nombre ! » Il veut que la nature le ressource, absorbe son désespoir et il se métamorphose en un élément naturel. « Audedans de moi, le soir tombe. » Il se sent coupé du monde pour longtemps et perd l’usage de ses sens, se dirige vers le cimetière de Villequier « sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit. » Il est poussé vers l’avant « comme un force qui va », mais se replie sur le passé plus rassurant, évoque le bonheur d’autrefois : « Ô souvenirs ! Printemps ! Aurore ! », se plonge dans le déni. Pourtant il faut s’arracher au passé, faire un travail de deuil pour retrouver la force de vivre. Hugo et son épouse s’y refusent, se libérant par les larmes : « Vous voyez des pleurs sur ma joue » ; « Hélas ! Et je pleurai trois jours amèrement. » Comme le dit Freud, le travail de deuil est nécessaire. Il se fait en trois étapes : la confrontation à la réalité, la révolte, la victoire du principe de réalité. Quand il est proscrit, Hugo lutte constamment contre l’adversité et le 4 pouvoir de Napoléon III et il est content d’avoir lutté. Cela l’a amené à conduire un combat épuisant. Il est maintenant l’homme qui marche et plus celui qui a le dos courbé du poème : « Demain dès l’aube… » Il arrive peu à peu à accepter la mort de Léopoldine sans pour autant se résigner. Après avoir exprimé sa colère contre Dieu, il se met à l’adorer pour reprendre la lutte. Il veut vivre à tout prix, mais pense à la mort qu’il associe à l’obscurité. Ainsi le poème 17 du tome IV des Contemplations décrit la mort de Charles et de Léopoldine et s’achève sur leur métamorphose en étoiles. Hugo fait une seule allusion au suicide dans le poème 4 du livre IV certainement par dégoût de la vie : « Je voulais me briser le front sur le pavé. » Quand il est exilé, l’amitié (celle d’Alexandre Dumas par exemple) et l’amour lui donnent la force de vivre, de même que son engagement dans les grandes causes comme l’opposition à la peine de mort et au travail des enfants. La religion, la nature, l’exil, les engagements le conduisent à la résilience, à la reconstruction.

Cette énergie vitale qui mène le monde, on la retrouve chez Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature 2015. Dans La supplication, elle montre sa puissance puisque la nature est luxuriante même dans la zone de Tchernobyl si durement touchée par les radiations. Quelques années après la catastrophe nucléaire, une vieille veuve qui a refusé d’être évacuée dit : « Tout vit ici. Absolument tout ! Le lézard vit. La grenouille vit. Et le ver de terre vit et il y a des souris ! Tout y est. » Après le départ des habitants et malgré les radiations, la nature a repris ses droits. En contrepartie, les morts et les malades se comptent par milliers. Les suicides augmentent de même que les cas de démence et la venue d’enfants morts-nés. Certains se culpabilisent de vouloir vivre à tout prix en se raccrochant au passé. D’autres se réfugient dans le fatalisme « Notre histoire est faite de souffrances », dans la gaîté : « Quitte à mourir autant que ce soit en musique ! », ou dans l’humour : « On racontait des blagues sans arrêt. »

Victor Hugo et Svetlana Alexievitch ont été victimes d’une perte d’énergie vitale à cause de traumatismes physiques ou psychologiques. L’un a perdu sa fille, l’autre a vécu Tchernobyl et rencontré des victimes.

Nietzche, lui, a souffert d’une maladie grave. Il a besoin de repos, de stabilité, trouve l’apaisement dans l’invention d’un monde supra sensible, immuable, éternel et dénigre la vie. Il veut profiter du moment présent, abandonne le passé pour créer de la nouveauté, se donnant une illusion d’éternité. Il refuse la pensée de la mort pour privilégier celle de la vie, dit que sa souffrance imposée par la maladie est créatrice de joie, d’une envie folle de se moquer, de devenir méchant. Sa lutte héroïque est philosophique, car le penseur doit « vivre dangereusement » pour conquérir le monde, les hommes supérieurs « voient et entendent », sont les plus heureux et les plus malheureux à la fois. Il accepte sa situation, se résigne car il faut adhérer au réel tel qu’il est, ne pas se représenter la mort afin de pouvoir continuer à vivre, valoriser « la pensée de la vie ». Il dit que l’existence de la mort rend la vie plus précieuse. Il donne au suicide une dimension symbolique et pense qu’il est dû à la peur de la mort. Il va même jusqu’à dire que le patriotisme qu’il appelle « patriotardise » est « un détour pour parvenir au suicide, un détour que l’on emprunte avec bonne conscience. »

La vie est un long combat jalonné d’embûches et chacun se débrouille à sa façon pour parvenir à la résilience. Nos trois auteurs ont été comme tout le monde affrontés à des drames, que ce soit un deuil, une catastrophe, une maladie. Ils ont puisé leur force de vivre où ils pouvaient, dans leur passé, dans la nature, la religion, la fête, des combats philosophiques, des idéaux.

Depuis un an, le monde entier subit une terrible pandémie, qui décime les populations, met en danger l’économie, nous soumet à des règles drastiques limitant nos libertés.

Où puiser notre force de vivre ? Il est bon de se réfugier dans le passé certes, mais cela ne peut être que passager et stérile. Il faut " se débrouiller " avec les moyens du bord, selon ses capacités intellectuelles, physiques, matérielles.

Certains choisissent de se tourner vers la religion, d’autres vers le travail, la création, les valeurs humaines essentielles comme l’amour, l’amitié ; l’entraide. Il est capital de conserver l’espoir en des temps plus cléments, de se dire qu’une tempête ne peut que s’apaiser. Après la pluie vient le soleil, dit le proverbe.

Andrée CHABROL-VACQUIER