Compagnie des écrivains de Tarn-et-Garonne

ETUDE : La littérature, la philosophie, l’écriture sont des moyens de libération pour les femmes

La littérature, la philosophie, l’écriture sont des moyens de libération pour les femmes

  On parle beaucoup de féminisme en ce moment mais cette revendication des femmes pour échapper à la domination masculine dans tous les domaines n’est pas nouvelle et remonte aux origines. Il est intéressant d’étudier ce phénomène en littérature de la Grèce antique à nos jours en suivant le parcours des femmes d’abord oubliées puis hérétiques, universalistes, révolutionnaires, libératrices.

1) Les oubliées 

Dans l’Antiquité, de la Grèce au Proche Orient, la philosophie fut également portée par la voix des femmes, mais qu’elles soient penseuses à part entière, disciples ou formatrices, leur contribution fut oubliée et leurs œuvres égarées. Pensons à Sappho (les Odes à Aphrodite) au 6 ème siècle avant J.-.C, aux platoniciennes au V e siècle avant J.-.C, aux épicuriennes au IIIe siècle avant J.-.C, aux stoïciennes (I er siècle avant J.-.C) comme Cérellia, amie de Cicéron. Un peu plus tard (IVe siècle), pensons à Hypatie qui fut l’une des figures les plus influentes d’Alexandrie. Assassinée par une foule de chrétiens fanatisée, elle est passée à la postérité comme martyre de la philosophie et victime de l’obscurantisme. Si les noms de plusieurs femmes philosophes de la Grèce antique sont connus, l’Inde a également vu naître de célèbres penseuses comme Gargi Vachaknavi (VIIe siècle avant J.-.C) et Maitreyî qui furent considérées à l’égal des hommes comme des sages.

2) Les hérétiques (Moyen Âge et Renaissance)

Guérisseuse, sage-femme ou mystique devenue hérétique et magicienne, la femme est souvent vue comme une sorcière, tout ceci à la lueur des bûchers où les envoie un monde chrétien qui a peur. Les bûchers s’éteindront avec la montée en puissance du nationalisme, mais les sorcières ne disparaissent pas pour autant ; elles se métamorphosent pour incarner la lutte des femmes contre toutes les dominations. Contre les hommes qui revendiquent le monopole de la culture, les femmes inventent un nouveau langage basé sur l’émotion. Citons au XIIe siècle Fatima Bint Al-Huthanna, philosophe et juriste, Mahadeviyakka poétesse et philosophe, Hildegarde de Bingen, mystique bénédictine ; au XIVe siècle Julienne de Norwick, première femme de lettres anglaise ; au XVe siècle Isatta Nogarok, femme de lettres et humaniste italienne ; au XVIe siècle Tullia d’Aragon, femme de lettres vénitienne ; au XVIIe 4 siècle Lucrezia Marinella, femme de lettres italienne, Marie de Gournay femme de lettres françaises qui « fille d’alliance » de Montaigne se chargea de l’édition posthume des Essais. Certaines de ces hérétiques sont restées célèbres de nos jours : Marguerite Morete (1250-1310), mystique intransigeante, reste toute sa vie fidèle à ses convictions ce qui la conduisit au bûcher place de grève le 1er juin 1310, avec son ouvrage Le Miroir. Christine de Pisan (1364-1429), née à Venise, femme de lettres (histoire, philosophie) connue en France et à l’étranger, notamment par son ouvrage La cité des dames. Héloïse (1029-1164), instruite et intelligente, qui tombe sous le charme du philosophe Abélard avec lequel elle s’enfuit. Elle a un enfant, mais refuse le mariage qu’elle cosidère comme une forme de prostitution et non d’amour. Elle entre dans les ordres en 1118. Quant à Abélard, il est émasculé par des hommes de main de l’oncle d’Héloïse et entre dans les ordres avant de mourir le 21 avril 1142. Abbesse de grand renom du Paraclet en Champagne, Héloïse sera inhumée à côté de son amant. Le poète Jean de Meung la décrira comme « une femme telle qu’on n’en a plus jamais vue ».

3) Les universalistes : de l’âge classique à la Révolution industrielle

Tandis que Galilée se rétracte à propos de la place de la Terre dans l’univers catholique, les femmes se rebellent contre celle qui leur est imposée dans l’univers masculin. De l’éducation à la philosophie en passant par les mathématiques, la botanique, l'histoire et la littérature, elles entament à la suite de Mary Astell un renversement copernicien dont les effets se cristallisent au Siècle des Lumières avec les penseuses de l’émancipation de Mary Wollestonecraft à Catherine Macoulay et Olympe de Gouges. Scientifiques, traductrices, auteures, les femmes conquièrent leur place dans la société savante et des salons des Lumières aux clubs de la Révolution retentissent les revendications féministes. Parmi ces femmes, citons Anna-Maria Van Schurman (1607-1678) poétesse artiste et philosophe hollandaise qui défend l’accès à l’éducation pour les jeunes femmes, Margaret Cavendish (1623-1673), philosophe et scientifique qui reçut Gassendi et Descartes dans son salon, Anne Finch Conway (1631-1679) philosophe anglaise, Mary Astele (1666- 1731) première féministe anglaise, Catherine Trotter Cockburn (1679-1749) philosophe, romancière et dramaturge anglaise, Damaris Cudworth Masham (1659-1708) théologienne anglaise amie de John Locke et correspondante de Leibnitz, Judith Drake (1670-1723), Ninon de Lenclos (1620-1705) femme de lettres, Laura Bassi (1711-1778), philosophe et physicienne italienne, Élisabeth Ferrand (1700-1752) qui, dans son salon, attirait les grands esprits de l’époque comme d’Alembert, Germaine de Staël (1766-1817), philosophe et écrivaine suisse, amante de Benjamin Constant, Fanny de Beauharnais (1737-1813) femme de lettres. Certaines de ces femmes se sont particulièrement distinguées comme : Gabrielle Suchon qui, bien qu’autodidacte, écrit deux grands traités dont celui de la morale et de la politique (1693), Juana Inès de la Cruz qui, à 17 ans, est remarquée par ses poèmes et introduite à la cour de Mexico où elle devient l’un des esprits les plus brillants. On lui doit des poèmes (« Le Rêve »), des pièces de théâtre (« Le Divin Narcisse »), des cantiques. Citons aussi Mary Wollstonecraft, philosophe anglaise auteure entre autres de Défense des droits de la femme. Mariée au philosophe Godwin, elle meurt en accouchant de la future Mary Shelley, auteure de Frankenstein. N’oublions pas Olympe de Gouges (1748-1793), fille illégitime du marquis Lefranc de Pompignan, femme de lettres, dramaturge et révolutionnaire. Auteure de réflexions sur les hommes nègres (1788), de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » (1791), elle est guillotinée le 3 novembre 1793. Harriet Taylor Mill (1807-1888), restée dans l’ombre de son second mari, le philosophe John Stuart Mill, elle est pourtant l’auteure d’une œuvre riche. On lui doit entre autres L’affranchissement des femmes (1851)

4) Les révolutionnaires

Avec la révolution industrielle, les femmes gagnent le droit de trouver un emploi dans l’industrie – moins payé que celui des hommes à travail égal – tout en conservant le devoir d’être de bonnes ménagères. Double peine donc et même triple peine quand la différence sociale s’ajoute à la différence sexuelle. De Louise Michel à Rosa Luxembourg certaines femmes vont retourner la violence qui leur est faite en s’affirmant les armes à la main comme sujets politiques. Un choix s’impose vu leur nombre. 5 Louise Michel (1830-1905), institutrice anarchiste surnommée « La vierge rouge », qui affirmait : « Notre place dans l’humanité ne doit pas être mendiée mais prise. » ; George Sand (1804-1876), romancière imprégnée dès son plus jeune âge de la philosophie des Lumières ; Alexandra David Neel (1868-1969) exploratrice, auteure de nombreux ouvrages ; Rosa Luxembourg (1871-1919), docteur en économie, surnommée « Rosa la Rouge », qui a voué sa vie à l’avènement de l’idéal socialiste jusqu’à en périr puisqu’elle fut exécutée le 14 janvier 1919. Son œuvre principale est L’accumulation du capital ; Lou Andra-Salomé (1861-1937), auteure de nombreux écrits, qui a été l’amie de Rilke et Nietzsche ; Virginia Wolf (1882- 1941), romancière anglaise auteure entre autres de Mrs. Dalloway, Les vagues, etc. et de nombreux essais comme par exemple Une chambre à soi dans lequel elle interroge la marginalisation des femmes en littérature ; Anna Julia Cooper (1858-1964), femme noire chercheuse, qui a obtenu à 67 ans un doctorat à la Sorbonne devenant ainsi l’une des premières femmes noires docteurs ; Simone Weil (1909-1943), philosophe, qui s’est durant sa courte vie confrontée physiquement et intellectuellement au problème du mal et de la souffrance, prenant même part à la guerre d’Espagne. On lui doit L’enracinement publié par Albert Camus, La pesanteur et la grâce.

5) Les libératrices de l’après guerre aux années post 68.

Dans le sillage de Simone de Beauvoir (1908-1986) nombreuses sont les femmes psychologues, philosophes, écrivaines comme Iris Murdoch ou Françoise d’Eaubonne, scientifiques comme Suzanne Bachelard qui ont cherché une liberté absolue en amour et en philosophie. À la fois romancière (prix Goncourt pour Les Mandarins) et philosophe, Simone de Beauvoir est une figure capitale et pionnière du féminisme avec la publication du Deuxième sexe (1949) mis à l’index par le Vatican. N’oublions pas la philosophe Annah Arendt (1906- 1975) dénonçant également l’exploitation de la femme dans tous les domaines, ni Antoinette Fouque (1936-2014) qui éleva la maternité au rang de sujet philosophique et fonda en 1972 les « Éditions des femmes ».

6) Les contemporaines

Les féministes contemporaines font toujours face à des inégalités, au sexisme et au racisme mais dans un contexte augmenté des problématiques concernant le sort de la planète, à quoi s’ajoute le constat de l’extrême violence de la société. Citons quelques contemporaines engagées comme Mona Ozouf, Françoise Héritier, Julia Kristeva, Françoise Collin, Virginie Despentes. Ces femmes s’opposent à l’inégalité et à la violence qui pèsent sur elles et leurs semblables. Elles se battent pour leur liberté d’agir et de se mouvoir dans les sphères publiques comme privées, revendiquent le pouvoir d’établir une société plus juste. Conclusion : À toutes les époques les femmes ont refusé de se laisser asservir et essayé de franchir des barrières. On les a d’abord laissées dans l’ombre, oubliées, puis persécutées et envoyées au bûcher mais elles ont pu se rebeller grâce à la littérature, la philosophie, l’écriture puis se révolter comme Louise Michel et bien d’autres pour enfin se libérer peu à peu grâce à des intellectuelles de renom. La route est certainement encore longue pour parvenir à établir l’égalité intellectuelle et surtout sociale.

Andrée CHABROL-VACQUIER